Démembrer la propriété d’un bien consiste à scinder le droit de propriété en deux droits réels distincts :

  • L’usufruit qui se compose de l’usus et du fructus.
  • La nue-propriété qui se compose de l’abusus (droit de disposer à terme de la pleine propriété du bien).

Comment répartir le prix de la vente d’un bien immobilier démembré entre l’usufruitier et le nu-propriétaire ? Que le démembrement sur un bien immobilier ait été subi suite à une succession, notamment par le choix du conjoint survivant de prendre la totalité en usufruit au titre de ses droits légaux ou qu’un parent ait donné la nue-propriété du bien à un de ses enfants par exemple, rien n’interdit aux parties de décider ensemble de la vente de la pleine propriété de l’immeuble.

Se pose alors la question de la répartition du prix de cession entre l’usufruitier et le nu-propriétaire. Plusieurs options existent.

1 – Si aucune précision n’est donnée, la règle est une répartition du prix au prorata des droits de chacun

Quid de la valeur desdits droits ? Pour des raisons de facilité, les notaires appliquent le plus souvent le barème de l’article 669 du Code Général des Impôts pour répartir le prix de vente entre l’usufruitier et le nu-propriétaire.

Âge de l’usufruitier Valeur de l’usufruit
Moins de 21 ans révolus 90 %
Moins de 31 ans révolus 80 %
Moins de 41 ans révolus 70 %
Moins de 51 ans révolus 60 %
Moins de 61 ans révolus 50 %
Moins de 71 ans révolus 40 %
Moins de 81 ans révolus 30 %
Moins de 91 ans révolus 20 %
Au-delà 10 %

 

Pourtant, ce barème qui définit la valeur de l’usufruit en fonction de l’âge de l’usufruitier est exclusivement fiscal (il est obligatoire dans les relations avec l’administration fiscale, pour le paiement de droits de mutation à titre gratuit par exemple), on peut donc y déroger en prévoyant une clé de répartition différente.

Aussi, une répartition conventionnelle basée sur une évaluation économique prenant en compte le rendement du bien et l’espérance de vie, bien que plus marginale, est une option à ne pas négliger.

 

Prenons un exemple : Une mère de 75 ans usufruitière et sa fille nu-propriétaire vendent un bien immobilier d’une valeur de 800 000 € (on suppose que ce bien a un rendement de 3,5% annuel net)

Répartition du prix en fonction du barème fiscal de l’article 669 du Code Civil

  • Valeur de l’usufruit : 30% de la pleine propriété soit 240.000 € ;
  • Valeur de la nue-propriété : 70% de la pleine propriété soit 560.000 €

Répartition du prix conventionnel en fonction du taux de rendement du bien et de l’espérance de vie de l’usufruitier

  • Valeur de l’usufruit : 232 865 € (espérance de vie 10 ans et taux de rendement annuel de 3,5% net)
  • Valeur de la nue-propriété : 567 135 €

Si l’usufruitier souhaite préserver les intérêts du nu-propriétaire, le choix d’une valorisation économique prévaudra.

Quelle que soit la répartition retenue, le notaire fera un virement à chacun des cédants mettant fin au démembrement initial. Les fonds reçus sont de la pleine propriété. Ainsi, la quote part du prix de la vente qui se retrouverait dans le patrimoine de la mère à son décès, sera taxée aux droits de succession pour sa fille.

2/ La seconde solution est un remploi du prix de cession dans un autre actif démembré

Usufruitier et nu-propriétaire décident alors de réemployer le prix de vente dans un nouvel actif démembré (actif immobilier, contrat de capitalisation démembré…).

Il s’agit alors d’un remploi par subrogation permettant de maintenir le démembrement sur le bien nouvellement acquis. Pendant toute la durée du démembrement, l’usufruitier pourra de facto, percevoir les fruits de ce nouvel actif démembré (revenus fonciers, dividendes, coupons, intérêts) ou l’utiliser (habiter le bien immobilier).

Au décès de ce dernier, le nu-propriétaire deviendra alors plein propriétaire du bien acquis sans fiscalité (article 1133 du CGI). Pour autant, des précautions devront être prises pour éviter qu’au décès de l’usufruitier, l’administration fiscale ne considère que le bien acquis fasse partie de la succession de ce dernier (article 751 CGI). Une telle théorie repose sur le fait que les démembrements opérés peu avant le décès de l’usufruitier sont suspects aux yeux de l’administration fiscale qui estime que le but était d’appauvrir l’usufruitier peu avant son décès en donnant une partie de son patrimoine au nu-propriétaire tout en bénéficiant, par la suite, de la réunion de la pleine propriété entre les mains du nu-propriétaire sans friction fiscale (article 1133 du CGI) au décès de l’usufruitier.

Aussi, pour éviter toute contestation, les parties devront constater ce remploi dans un acte sous seing privé enregistré ou un acte authentique avec une mention du remploi des sommes perçues dans l’acte de vente (article 751 alinéa 2 CGI).

3/ La dernière possibilité est la remise de l’intégralité du prix de vente au seul usufruitier

Les vendeurs décident alors de reporter le démembrement sur le prix de vente. Cette décision doit alors apparaître à l’acte de vente ou plus généralement dans la convention de quasi-usufruit ci-après décrite.

Dès lors que l’usufruit porte sur une somme d’argent – consomptible par le premier usage., on parle de quasi-usufruit.

L’usufruitier devenu quasi usufruitier pourra faire usage de la somme comme s’il en était plein propriétaire à charge pour lui de la restituer à son décès. Pour que cette créance de restitution soit portée au passif de la succession de l’usufruitier, les vendeurs devront établir une convention de quasi-usufruit par acte privé enregistré ou acte authentique actant de l’existence du quasi-usufruit, ses règles de fonctionnement, le montant de la créance de restitution et de son éventuelle indexation voire des garanties (caution).

[En date d’avril 2020]