La légende du cap Ferrat est née d’une vie artistique et culturelle de premier plan, qui vit s’y succéder les personnalités les plus brillantes du XXe siècle.
Au début du XXe siècle s’impose l’idée d’un tourisme hivernal sur la Côte d’Azur. Attirées par la douceur de son climat, les familles aristocratiques russes et britanniques et les nouvelles fortunes industrielles vont faire de la French Riviera leur jardin d’hiver. C’est alors que le hameau de Saint-Jean se sépare de Villefranche-sur-Mer pour devenir une commune indépendante, d’abord dénommée Saint-Jean-sur-Mer. Saint-Jean-Cap-Ferrat (son nom officiel à partir de 1907) devient l’un des sites les plus prisés de littoral méditerranéen, notamment lorsque le roi Léopold II de Belgique achète la villa Les Cèdres pour y abriter ses amours avec Blanche Delacroix. Viendra alors le temps des palaces, dont le Grand-Hôtel du Cap-Ferrat, édifié en 1908 sur la pointe du cap. Les Années folles consacreront le statut de cette presqu’île destinée à recevoir l’élite mondiale, génération après génération.
Avec les années 1950, le tourisme se faisant davantage estival, Saint-Jean-Cap-Ferrat profite de la renommée naissante du Festival de Cannes pour séduire les plus grandes stars, d’Edith Piaf à Charlie Chaplin, d’Elisabeth Taylor et Richard Burton à Jean-Paul Belmondo, Roger Moore ou Tony Curtis. Sans oublier Romy Schneider qui s’y maria en 1966.
Comme l’indique le Bureau d’information touristique de Saint-Jean-Cap-Ferrat (www.saintjeancapferrat-tourisme.fr), les peintres ne sont pas non plus restés insensibles aux charmes du site ni à sa lumière : Henri Matisse fut ainsi reçu à de nombreuses reprises à la villa Natacha, propriété de l’éditeur d’art Tériade. Le peintre avait d’ailleurs réalisé dans la salle à manger de la villa, un vitrail et un mur en céramique. L’éditeur d’origine grecque y recevait les nombreux artistes avec lesquels il travaillait, notamment Chagall et Picasso. Mais l’un des créateurs qui aura le plus marqué Saint-Jean-Cap-Ferrat est Jean Cocteau, invité régulier de la villa Santo Sospir (aujourd’hui située au 14, avenue Jean-Cocteau !) dont il a décoré les murs de splendides fresques. C’est à Cocteau que l’on doit également la fresque qui orne la salle des mariages de la mairie.
De façon plus inattendue, les hommes politiques ont eux aussi pris leurs quartiers dans la commune, à commencer par Winston Churchill, le général de Gaulle puis Valéry Giscard d’Estaing ou plus récemment George Bush ou Bill Clinton.
Somerset Maugham, le roman du cap Ferrat
Mais la légende du cap Ferrat ne serait rien sans l’évocation de l’écrivain britannique Somerset Maugham (1874-1965). L’aumônier de Léopold II, Félix Charmettant, a acheté au tout début du XXe siècle une parcelle de 4 hectares sur la presqu’île alors nouvellement lotie du cap Ferrat, puis y fait construire une villa dans le goût mauresque. En 1927, Somerset Maugham fait l’acquisition de cette propriété entourée de jardins en terrasses et demande au jeune architecte américain Barry Dierks d’éliminer le décor néo-oriental, de créer des façades plus classiques et de moderniser la distribution en créant un escalier pour rendre la villa plus confortable au quotidien. Il en fera sa résidence principale jusqu’à son décès en 1965. Somerset Maugham étant l’un des écrivains britanniques les plus lus au monde (et le mieux payé des années 30 !), la Mauresque devient un point de passage obligé pour toutes les célébrités de passage sur la Côte d’Azur. Le duc et la duchesse de Windsor, l’Aga Khan, Rudyard Kipling, Ian Fleming, Virginia Woolf et bien sûr Cocteau, auteurs et aristocrates en font le centre d’une vie culturelle et mondaine sans égale. A la fois mondain et misanthrope, assumant ouvertement son homosexualité à une époque où cela était encore difficile, Somerset Maugham vivra de manière assez discrète à La Mauresque. Sa personnalité énigmatique et parfois sulfureuse inspirera à son tour les auteurs, dont Floc’h et Rivière, qui signèrent en 2013 un roman graphique intitulé Villa Mauresque, et Philip Kerr qui, dans Les Pièges de l’exil (2017) imagine la rencontre entre Maugham et son héros fétiche, le flic allemand Bernhard Gunther (*).
Cette histoire d’amour entre Maugham et Saint-Jean-Cap-Ferrat est magnifiquement résumée dans un article publié au lendemain de la mort de l’auteur dans Le Monde sous la plume de Jean Knecht le 17 décembre 1965 : « William Somerset Maugham est mort ce jeudi, peu avant 5 heures du matin, dans sa villa La Mauresque, à Saint-Jean-Cap-Ferrat, où il avait été transporté, au dernier moment, de l’hôpital anglo-américain de Nice. L’écrivain britannique avait été hospitalisé samedi dernier, après avoir fait une chute chez lui, la veille. (…) William Somerset Maugham avait renoncé depuis quelque temps à écrire des romans pour consacrer sa verve à des essais caustiques et savoureux. Il n’avait pas pour autant épuisé sa passion des voyages. (…) Grand voyageur, Somerset Maugham connaissait à peu près toute la terre, à l’exception de l’Afrique du Sud et de l’Amérique du Sud. Auquel de tous les pays qu’il a visités allaient ses préférences ? Il disait hésiter entre le Japon et les îles du Pacifique. Mais n’avait-il pas au fond une prédilection pour notre Côte-d’Azur, où il a goûté pendant tant d’années la joie de vivre et de travailler ? Peu après la libération il s’était définitivement fixé à l’extrême pointe du cap Ferrat, dans une propriété acquise avant la guerre et qu’il avait fait agrandir et embellir : la villa Mauresque, située au milieu de cette végétation luxuriante qui fit la joie des impressionnistes. »
(*) Villa Mauresque, par Floc’h et Rivière, éditions La table Ronde, 104 pages, 20 € / Les Pièges de l’exil, par Philip Kerr, éditions Points Poche, traduction Philippe Bonnet, 408 pages, 7,90 €